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un peu confus. Lébédeff l’avait accompagné ; déjà fortement pris de boisson, l’employé ne quittait pas plus Rogojine que s’il eût été son ombre. À leur suite venaient l’étudiant, l’athlète, Zaliojeff, qui saluait à droite et à gauche, enfin le petit homme obèse. Tous, dans le premier moment, se sentirent assez gênés vis-à-vis de Nina Alexandrovna et de Varia, mais on aurait eu tort de compter sur la durée de cette impression ; il était clair que, quand le moment de commencer serait venu, ils oublieraient bien vite le respect dû aux dames.

— Comment ! toi aussi, tu es ici, prince ? fit distraitement Rogojine, un peu étonné de cette rencontre ; — et toujours avec tes guêtres, e-eh ! soupira-t-il.

Déjà il avait oublié le prince et reporté ses yeux sur Nastasia Philippovna, vers qui il s’avançait toujours, comme mû par une attraction magnétique.

De son côté, Nastasia Philippovna considérait les visiteurs avec un mélange de curiosité et d’inquiétude.

Gania finit par recouvrer sa présence d’esprit ; il promena un regard sévère sur ces intrus, et, s’adressant surtout à Rogojine :

— Mais permettez, qu’est-ce que cela signifie, à la fin ? dit-il d’une voix forte : — il me semble, messieurs, que vous n’êtes pas entrés dans une écurie ; ma mère et ma sœur sont ici.

— Nous le voyons bien, murmura entre ses dents Rogojine.

— Cela se voit, ajouta Lébédeff pour dire aussi quelque chose.

L’athlète, croyant sans doute que le moment était venu, fit entendre un sourd grognement.

Mais pourtant !… reprit Gania, dont la voix atteignit brusquement le diapason le plus élevé : — d’abord, je vous invite tous à rentrer dans la salle, ensuite permettez que je sache…

Rogojine ne bougea point de sa place.