l’antichambre, je l’ai pris pour un laquais et je lui ai ordonné d’aller m’annoncer ! Ha, ha, ha !
— N’y a pas de mal, n’y a pas de mal ! dit Ferdychtchenko, qui, bien aise de voir que l’on commençait à rire, s’empressa de se mêler à la société : — ça ne fait rien : se non è vero…
— Et, qui plus est, je crois bien vous avoir brutalisé, prince. Pardonnez-moi, je vous prie. Ferdychtchenko, comment êtes-vous ici à pareille heure ? Je pensais, du moins, ne pas vous trouver… Qui ? Quel prince ? Muichkine ? demanda-t-elle à Gania qui, tenant toujours le prince par l’épaule, venait d’achever la présentation.
— Il loge chez nous, répéta le jeune homme.
Il était clair qu’on faisait jouer au prince le rôle de bête curieuse ; sa présence fournissait un moyen de sortir d’une situation fausse et on le jetait, pour ainsi dire, à la tête de Nastasia Philippovna ; il perçut même distinctement le mot « idiot », murmuré derrière lui, probablement par Ferdychtchenko, pour l’édification de la visiteuse.
— Dites-moi, pourquoi donc m’avez-vous laissée dans l’erreur tantôt, quand je me suis si terriblement… trompée sur votre compte ? reprit Nastasia Philippovna en examinant le prince des pieds à la tête avec le sans-gêne le plus cavalier ; puis elle attendit impatiemment la réponse, présumant que celle-ci allait égayer tout le monde par sa bêtise.
— J’ai été surpris en vous apercevant ainsi tout d’un coup… balbutia le prince.
— Mais comment m’avez-vous reconnue ? Où m’aviez-vous vue auparavant ? Au fait, il me semble l’avoir vu quelque part ! Et permettez-moi de vous demander pourquoi tout à l’heure vous êtes resté cloué sur place : qu’y a-t-il de si stupéfiant en moi ?
— Allons donc, allons ! fit plaisamment Ferdychtchenko ; — mais allons donc ! Oh ! Seigneur, si c’était moi, que de choses je répondrais à une pareille question ! Mais allons donc !… Vraiment, prince, il faut que tu sois joliment godiche !
Muichkine se mit à rire.