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savez ce que Gania a dit tantôt en votre présence ; quand ensuite vous êtes sorti et que je l’ai questionné sur votre compte, il m’a répondu : « Il sait tout, il n’y a pas à se gêner ! » Qu’est-ce que cela signifie ? C’est-à-dire que je voudrais savoir dans quelle mesure…

Gania et Ptitzine entrèrent tout à coup ; Nina Alexandrovna s’interrompit immédiatement. Le prince resta assis auprès d’elle, mais Varia se retira à l’écart. Le portrait de Nastasia Philippovna reposait, parfaitement en évidence, sur la petite table à ouvrage de Nina Alexandrovna, juste sous les yeux de la vieille dame. À sa vue, la mine de Gania se refrogna ; il le prit avec colère et le lança sur son bureau, qui se trouvait à l’autre bout de la chambre.

— C’est aujourd’hui, Gania ? demanda brusquement Nina Alexandrovna.

Le jeune homme tressaillit.

— Quoi, aujourd’hui ? fit-il, et tout à coup il s’emporta contre le prince : — ah ! je comprends, vous êtes ici !… Mais c’est donc une maladie chez vous ? Vous ne pouvez pas retenir votre langue ? Comprenez donc enfin, Altesse…

— Ici, la faute est à moi, Gania, et à moi seul, interrompit Ptitzine.

Gania le regarda avec étonnement.

— Mais, voyons, cela vaut mieux, Gania, d’autant plus que, d’un côté, l’affaire est finie, marmotta entre ses dents Ptitzine ; puis il alla s’asseoir près d’une table à l’écart, et, tirant de sa poche un morceau de papier couvert d’une écriture tracée au crayon, il se mit à l’examiner attentivement. Gania, toujours sombre, attendait avec inquiétude une scène de famille, il ne pensa même pas à faire des excuses au prince.

— Si tout est fini, assurément Ivan Pétrovitch a bien fait, dit Nina Alexandrovna. — Ne fronce pas le sourcil, je te prie, et ne te fâche pas, Gania ; je m’abstiendrai de toute question sur ce que toi-même tu ne veux pas dire, et je t’assure que je me suis complètement soumise ; sois tranquille, je t’en prie.