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vous ne le croyez, dit le prince, un peu blessé des reproches de Gania. Les rapports entre les deux jeunes gens ne s’amélioraient pas, au contraire.

— Eh bien, mais vous m’avez déjà attiré assez de désagréments aujourd’hui. En un mot, c’est une prière que je vous adresse.

— Notez encore ceci, Gabriel Ardalionovitch, que tantôt je ne m’étais nullement engagé au silence : pourquoi donc ne pouvais-je pas parler du portrait ? Vous ne m’aviez pas prié de me taire à ce sujet.

— Oh ! quelle affreuse chambre ! observa Gania en promenant autour de lui un regard méprisant, — on n’y voit pas clair et les fenêtres donnent sur la cour. À tous les égards, vous arrivez mal à propos chez nous… Du reste, ce n’est pas mon affaire, je ne m’occupe pas de la location des chambres.

Ptitzine vint appeler Gania ; ce dernier quitta aussitôt le prince ; il aurait pourtant voulu dire encore quelque chose, mais une sorte de honte l’avait retenu, il se sentait embarrassé, et c’était sans doute pour se donner une contenance qu’il avait maugréé contre la chambre.

Le prince venait à peine de se lever et de faire un bout de toilette, lorsque sa porte s’ouvrit pour laisser apparaître un nouveau personnage.

C’était un monsieur de trente ans, plutôt grand que petit, dont les larges épaules supportaient une énorme tête frisée et roussâtre. Il avait un visage rouge et charnu, des lèvres épaisses, un nez large et aplati, de petits yeux moqueurs qui semblaient toujours adresser des signes d’intelligence à quelqu’un. En somme, l’impudence dominait dans cette physionomie. Les vêtements du nouveau venu étaient assez malpropres.

Il avait commencé par entre-bâiller la porte juste assez pour pouvoir passer sa tête dans l’ouverture ; allongeant le cou, il examina la chambre durant cinq secondes. Puis, lentement, la porte s’ouvrit toute grande et sur le seuil apparut en pied le visiteur. Mais celui-ci n’entra pas tout de suite et