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contrarié et je m’explique ainsi vos paroles blessantes. Eh bien, allons chez vous. Je vous accompagnerai volontiers…

« Non, à présent il est impossible de le laisser partir comme cela, se disait mentalement Gania, qui, chemin faisant, observait le prince d’un regard irrité, — ce fourbe m’a tiré les vers du nez et ensuite il a brusquement levé le masque… Ce n’est pas une circonstance à négliger. Mais nous verrons ! Tout va se décider, tout, tout ! Aujourd’hui même ! »

Bientôt ils arrivèrent à la maison.


VIII

Un escalier clair, large et propre conduisait au logement de Gania, qui était situé au troisième étage et se composait de six ou sept pièces, les unes grandes, les autres petites. Sans rien avoir d’extraordinaire, cet appartement dépassait, en tout cas, les moyens d’un employé chargé de famille, en supposant même à ce dernier un traitement de deux mille roubles. Mais Gania et les siens n’étaient installés là que depuis deux mois, et ils avaient choisi ce local exprès pour pouvoir y héberger des pensionnaires. Cette résolution avait été prise sur les instances de Nina Alexandrovna et de Barbara Ardalionovna, qui voulaient se rendre utiles et contribuer dans quelque mesure aux ressources du ménage. Gania trouvait qu’il était de très mauvais ton de louer des chambres ; aussi avait-il combattu de tout son pouvoir le projet de sa mère et de sa sœur, mais il avait dû s’incliner devant le désir formel des deux femmes, et, depuis lors, quand le jeune homme allait dans le monde, son amour-propre souffrait cruellement. Toutes ces concessions à la nécessité étaient pour lui de profondes blessures morales. Les moindres niaiseries l’irritaient à l’excès et si, pour le moment, il consentait encore à accepter la situation, c’était seulement