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m’en suis aperçue tout de suite. Depuis lors il s’est mis à me tendre des piéges, comme il le fait encore à présent. Mais en voilà assez ; prenez ce billet et rendez-le-lui sitôt que vous serez sorti de chez nous, pas avant, bien entendu.

— Et que faudra-t-il lui répondre de votre part ?

— Rien, naturellement. C’est la meilleure réponse. Ainsi, vous voulez habiter dans sa demeure ?

— Tantôt Ivan Fédorovitch lui-même m’y a engagé, dit le prince.

— Eh bien, prenez garde à lui : je vous préviens qu’il ne vous pardonnera pas de lui avoir rendu son billet.

Aglaé serra légèrement la main du prince et sortit. Son visage était sérieux et refrogné[1] ; en saluant avant de se retirer, elle ne sourit même pas.

— Je suis à vous, je vais seulement prendre mon paquet, dit le prince à Gania.

Celui-ci frappa du pied avec impatience. Il était devenu noir de rage. Enfin les deux jeunes gens sortirent de la maison ; le prince tenait à la main son modeste bagage.

— La réponse ? la réponse ? demanda violemment Gania : — que vous a-t-elle dit ? Vous avez remis ma lettre ?

Le prince lui tendit silencieusement son billet. Gania resta saisi de stupeur.

— Comment ! c’est mon billet ! s’écria-t-il : — il ne l’a pas même remis ! Oh ! j’aurais dû m’en douter ! Oh ! m-m-maudit… Ce n’est pas étonnant qu’elle n’ait rien compris tantôt ! Mais comment donc, comment donc, comment donc ne l’avez-vous pas remis, oh ! m-m-maud…

— Pardonnez-moi ; au contraire, j’ai pu remettre tout de suite votre billet, au moment même où vous me l’aviez donné, et je l’ai remis exactement comme vous m’aviez prié de le faire. S’il se trouvait encore entre mes mains, c’est parce qu’Aglaé Ivanovna me l’a rendu tout à l’heure.

— Quand ? Quand ?

— J’avais à peine achevé d’écrire sur son album lorsqu’elle m’a invité à venir avec elle. (Vous l’avez en-

  1. WS : renfrogné