étonnante expression de naïveté et de confiance ; ce contraste éveillait un sentiment de pitié. L’éblouissante beauté de Nastasia Philippovna avait un caractère bizarre : un visage pâle, des joues presque creuses, des yeux brûlants, cela constituait une étrange beauté ! Le prince considéra le portrait pendant un moment, et, s’étant assuré que personne ne pouvait le voir, il approcha soudain de ses lèvres l’image de la jeune femme, qu’il baisa précipitamment. Quand, une minute après, il entra dans le salon, son visage était parfaitement calme.
Mais à l’instant où il pénétrait dans la salle à manger (il y avait encore une chambre entre cette pièce et le salon), il rencontra presque à la porte Aglaé. Elle était seule.
— Gabriel Ardalionovitch m’a prié de vous remettre ceci, dit le prince en lui présentant le billet.
Aglaé s’arrêta, prit le pli et regarda le prince d’un air étrange. Sa physionomie ne trahissait pas la moindre confusion, tout au plus un certain étonnement ; encore cet étonnement paraissait-il avoir uniquement pour cause le rôle joué par le prince. Le regard tranquille et hautain de la jeune fille semblait demander à Muichkine comment il se trouvait avoir pris part à cette affaire conjointement avec Gania. Pendant deux ou trois secondes, ils restèrent debout en face l’un de l’autre ; à la fin une expression quelque peu moqueuse se montra sur le visage d’Aglaé ; elle sourit légèrement et s’éloigna.
Durant quelque temps, la générale examina en silence et d’un air assez dédaigneux le portrait de Nastasia Philippovna qu’elle affectait de tenir devant elle à une grande distance de ses yeux.
— Oui, elle est belle, déclara enfin Élisabeth Prokofievna, — très-belle même. Je l’ai vue deux fois, mais de loin. Ainsi, vous appréciez cette beauté-là ? demanda-t-elle brusquement au prince,
— Oui… je l’apprécie… répondit-il avec un certain effort.
— Celle-là précisément ?