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— Oui, il est trop naïf, confirma Alexandra, — c’est au point qu’il en est même un peu ridicule.

L’une et l’autre semblaient n’exprimer qu’une partie de leur pensée.

— Du reste, en parlant de nos visages, il s’est adroitement tiré d’affaire, dit Aglaé, — il a flatté tout le monde, même maman.

— Trêve de mots piquants, s’il te plaît ! répliqua la générale. — Ce n’est pas lui qui m’a flattée, c’est moi qui ai trouvé son appréciation flatteuse.

— Tu penses qu’il a usé d’adresse ? demanda Adélaïde.

— Il ne me paraît pas si niais.

— Laisse donc ! reprit avec véhémence Élisabeth Prokofievna : — à mon avis, vous êtes encore plus ridicules que lui. Il est naïf, mais c’est un malin, en prenant ce mot dans l’acception la plus noble, bien entendu. C’est tout à fait comme moi.

« Certes, j’ai commis une vilaine indiscrétion en parlant du portrait, songeait non sans remords le prince Muichkine tandis qu’il se rendant dans le cabinet d’Ivan Fédorovitch… Mais… peut-être aussi ai-je bien fait de lâcher cette parole… » Dans son esprit commençait à surgir une idée étrange, assez peu nette encore, du reste.

Gabriel Ardalionovitch n’avait pas quitté le cabinet de son patron et il était absorbé dans ses paperasses. Sans doute ce n’était pas pour rien que la Compagnie lui donnait des appointements. Son agitation fut extrême quand le prince lui demanda le portrait et lui apprit comment les dames Épantchine en avaient eu connaissance.

— E-e-eh ! quel besoin aviez-vous de bavarder ainsi ! vociféra-t-il, en proie à une violente colère, — vous ne savez rien… Idiot ! grommela-t-il en aparté.

— Pardonnez-moi, c’est tout à fait par inadvertance que cela m’est échappé dans la conversation. J’ai dit qu’Aglaé était presque aussi belle que Nastasia Philippovna.

Gania lui demanda un récit plus détaillé ; le prince raconta