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petits oiseaux, ils battaient des ailes à ses fenêtres et lui criaient chaque matin : « Nous t’aimons, Marie. » Elle mourut très-vite. Je croyais qu’elle aurait vécu plus longtemps. La veille de sa mort, avant le coucher du soleil, j’allai la voir, elle parut me reconnaître, je lui serrai la main pour la dernière fois ; comme cette main était décharnée ! Et le lendemain matin on vint tout à coup me dire que Marie était morte. Cette fois, bravant toutes les défenses, les enfants entrèrent dans la maison : ils couvrirent de fleurs la défunte et lui mirent une couronne sur la tête. À l’église, le pasteur épargna du moins la mémoire de celle que, vivante, il avait insultée. Du reste, l’assistance se réduisait à quelques curieux. Au moment de la levée du corps, tous les enfants voulurent porter le cercueil ; comme ils n’étaient pas assez forts pour cela, on ne put donner satisfaction à leur désir, mais tous suivirent le convoi en pleurant. Depuis lors, la tombe de Marie a toujours été honorée par eux, chaque année ils l’ornent de fleurs, ils ont planté des rosiers tout autour. C’est surtout après cet enterrement qu’il y eut contre moi un déchaînement général à cause de mes relations avec les écoliers. Les principaux meneurs de cette cabale étaient le pasteur et le maître d’école. On alla jusqu’à défendre aux enfants de se rencontrer avec moi, et Schneider promit de faire bonne garde. Malgré cela, nous nous voyions, nous causions de loin par signes. Ils m’envoyaient de petites lettres. Plus tard les choses changèrent, mais alors c’était charmant : cette persécution contribua même à rendre plus étroite encore mon intimité avec les enfants. Pendant la dernière année, je me réconciliai presque avec Thibaut et avec le pasteur, mais entre Schneider et moi les discussions étaient fréquentes, et il me reprochait volontiers ce qu’il appelait mon « pernicieux système avec les enfants ». Comme si j’avais un système ! Enfin, à la veille même de mon départ, Schneider me confia une opinion fort étrange qu’il s’était formée sur mon compte, « J’ai acquis l’absolue conviction, me dit-il, que vous êtes vous-même un véritable enfant,