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nourri comme il l’est de la moelle évangélique, une illumination lui vient ; pourquoi ne pas réaliser dans un être vivant la parole du Maître : « Soyez comme des petits enfants. » Tel sera le prince Muichkine, « l’Idiot ». Écoutez-le parler et s’analyser lui-même : « L’homme aux soins duquel j’étais confié me dit un jour que dans sa conviction intime, j’étais un enfant et rien autre qu’un enfant, au sens propre du mot ; que par la taille et le visage je paraissais un adulte ; mais que, par le développement, l’âme, le caractère, et peut-être même par l’esprit, je n’étais pas un adulte ; et que tel je resterai, même si je vis jusqu’à soixante ans. Cela me fit rire ; il se trompait, sans doute ; pourquoi serais-je un petit enfant ? Mais la vérité, c’est que je n’aime pas me trouver avec les grandes personnes, parce que je ne sais que leur dire. »

Pour qu’on ne se méprenne pas sur l’intention, l’auteur nous montre d’abord, avec beaucoup d’adresse, le doux infirme vivant dans la société des enfants ses pareils et adoré d’eux. Puis il le plonge dans un milieu de coquins, d’usuriers, d’âmes perdues ; dès qu’ils entrent en contact avec lui, les plus pervers sont relevés, attendris, rachetés au moins pour une heure. Toutes les femmes sont attirées vers ce malade par un entraînement mystique ; il leur rend un amour de compassion, un sentiment qui semble tomber de plus haut et ignorer les liens de chair, amour d’un esprit céleste pour une créature terrestre. C’est peut-être le trait le plus original et le plus obscur des romans de Dostoïevsky, cette conception subtile, tout ensemble ascétique et passionnée, du plus humain des sentiments, qui ne garde chez lui rien d’humain.

Est-ce donc une pure abstraction, cette figure ridicule