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quez-moi celui qu’il y a à faire avec cette exécution. Pouvez-vous me retracer les choses comme vous vous les représentez ? Comment donc peindre ce visage ? Ainsi un visage seulement ? Quel visage est-ce ?

— C’était juste une minute avant la mort, s’empressa de commencer le prince, qui, entraîné par ses souvenirs, semblait avoir oublié tout le reste, — au moment où le condamné venait de monter les degrés de l’échafaud et mettait le pied sur la plate-forme. Il tourna les yeux de mon côté ; je regardai son visage et je compris tout… Du reste, comment raconter cela ? Je désirerais de tout mon cœur que vous ou quelqu’un en fissiez un tableau ; il vaudrait mieux que ce fût vous ! Alors déjà je me disais qu’une semblable peinture serait utile. Vous savez, il faudrait ici représenter tout ce qui a précédé, tout, tout. Il était en prison, et, comptant que les formalités habituelles seraient observées, il croyait avoir encore au moins huit jours devant lui. Mais, par suite de je ne sais quelle circonstance, les délais d’usage furent abrégés. À cinq heures du matin il dormait. C’était à la fin d’octobre ; À cinq heures il fait encore froid, et le jour n’est pas levé. Le directeur de la prison, accompagné d’un geôlier, entra sans bruit et posa sa main sur l’épaule du détenu. Celui-ci se mit sur son séant. « Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-il en voyant de la lumière. « C’est aujourd’hui, entre neuf et dix heures, que vous subirez votre peine. » Encore à moitié endormi, le prisonnier ne pouvait croire à cette nouvelle, il prétendait que l’ordre d’exécution n’arriverait que dans huit jours, mais, quand il fut bien éveillé, il cessa de discuter et garda le silence, — tels sont les détails qu’on a racontés. Ensuite il dit : « N’importe, si brusquement, c’est pénible… » Puis il se tut de nouveau et ne voulut plus proférer un mot. On sait comment les choses se passent durant les trois ou quatre heures qui suivent : c’est la visite du prêtre, c’est le déjeuner qui se compose de bœuf, de vin et de café (eh bien, n’est-ce pas une dérision ? Que cela est cruel ! pensez-vous ; mais ces gens-là n’y entendent pas malice, ils sont très-