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signe de fièvre… Je suis bien sûr que toute cette « histoire » de crêpe n’est peut-être aussi qu’un rêve. Décidément, j’avais raison hier : c’est moi, c’est moi qui m’acharne après lui, ce n’est pas lui. Je m’en suis fait un monstre et j’en ai peur, et je cours me sauver sous la table. Et puis, pourquoi est-ce que je l’appelle canaille ? C’est peut-être un homme très bien. Sa figure n’est pas très agréable, c’est vrai ; mais enfin il n’a rien de particulièrement laid. Il est mis comme tout le monde. Il n’y a que son regard… Allons, me voilà encore occupé de lui ! Que diable m’importe son regard ? Je ne puis donc pas vivre sans songer à ce… à ce gredin !

Parmi toutes ces pensées qui se faisaient la chasse dans sa tête, il y en eut une qui lui apparut clairement, et qui lui fut douloureuse : il se fit soudain en lui la conviction que l’homme au crêpe avait été jadis de ses propres amis, et que maintenant, lorsqu’il le rencontrait, cet homme se moquait de lui parce qu’il savait un grand secret de son passé, et qu’il le voyait maintenant si déchu. Il alla machinalement à la fenêtre pour l’ouvrir et respirer la fraîcheur de la nuit, et… et, brusquement, il frissonna tout entier : il lui sembla que devant lui se