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miette, et chaque fois il dévorait avec autant d’appétit que s’il n’eût pas mangé depuis trois jours. « Ce doit être maladif », pensait-il lorsqu’il le remarquait.

Ce soir-là, il prit place à la petite table avec les pires dispositions d’esprit ; il jetait violemment son chapeau dans un coin, s’accouda et songea. Pour peu que son voisin eût fait le moindre bruit, ou que le garçon ne l’eût pas immédiatement compris, lui, qui d’ordinaire restait toujours courtois et qui savait à l’occasion demeurer impassible, il eût fait, sans aucun doute, du tapage et peut-être un scandale.

Le potage servi, Veltchaninov prit sa cuiller ; mais, tout à coup, d’un geste brusque, il la jeta sur la table et bondit presque de dessus sa chaise. Une pensée imprévue s’était emparée de lui soudain. En un instant, Dieu sait comment, il venait de comprendre le motif de son angoisse, de cette angoisse étrange qui le torturait depuis plusieurs jours, qui l’étreignait, Dieu sait comment et Dieu sait pourquoi, sans un moment de répit. Voici que tout d’un coup il le comprenait et le voyait ce motif aussi distinctement que les cinq doigts de sa main.

— Le chapeau ! … murmurait-il comme illuminé. Oui, ce chapeau maudit, avec cet