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Tout à coup, par exemple, « sans rime ni raison », surgissait, du fond d’un oubli absolu, la figure d’un bon vieux petit fonctionnaire, grisonnant et comique, qu’un jour, il y avait longtemps, longtemps, il avait offensé, impunément, par pure fanfaronnade : il l’avait fait uniquement pour placer un mot drôle qui lui avait fait honneur, et qui ensuite avait couru. Il avait si bien oublié toute cette histoire qu’il n’arrivait pas à retrouver le nom du petit vieux ; et pourtant il revoyait tous les détails de la scène avec une netteté extraordinaire. Il se rappelait fort bien que le vieux avait défendu la réputation de sa fille, une fille déjà âgée et qui vivait avec lui, et sur laquelle on avait répandu en ville des bruits malveillants. Le petit vieux avait tenu tête et s’était fâché, puis soudain il avait fondu en larmes devant toute la société, ce qui fit une certaine impression. On avait fini par le gorger de champagne et par s’amuser de lui. Et lorsqu’à présent, « sans rime ni raison », Veltchaninov revoyait le pauvre petit vieux sanglotant, le visage dans ses mains, comme un enfant, il lui semblait qu’il ne se pouvait pas qu’il l’eût jamais oublié. Et, chose étrange, cette histoire, que jadis il avait trouvée très comique, lui faisait