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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

français (d’avant la Révolution). En voici d’autres plus anciens qui rappellent les palais de Venise. Dieu ! comme il sera mélancolique de lire là-dessus plus tard : Restaurant avec jardin, ou : Hôtel Français ! Enfin, voici d’énormes bâtisses tout à fait contemporaines ; là triomphe le style yankee : ce sont des édifices énormes renfermant des centaines de pièces et abritant des entreprises industrielles. On voit tout de suite que nous aussi, aujourd’hui, avons nos chemins de fer, et sommes devenus des « business-men ». Essayons après cela de définir notre architecture : c’est un tohu-bohu qui correspond parfaitement au tohu-bohu du moment présent. Mais de tous les styles employés, aucun n’est aussi lamentable que celui qui prévaut aujourd’hui. Il y a de tout là-dedans ; ces immenses maisons de rapport, aux murailles de carton et aux façades bizarres, possèdent des balcons « rococo » et des fenêtres pareilles à celles du palais des Doges ; elles ne sauraient se passer d’un « œil de bœuf » et sont invariablement à cinq étages : « Mais, me direz-vous, mon cher, je tiens absolument à jouir d’une fenêtre aussi belle que celles qu’avaient les doges. Corbleu ! Je vaux bien un doge, peut-être ! Il faut aussi disposer d’un certain nombre d’étages pour empiler des locataires qui me serviront l’intérêt de mon argent. Je ne puis pas, pour une vaine question de goût, rendre mon capital improductif ! »

Il est assez curieux que ce chapitre où je commence par parler de manuscrits m’ait conduit à une dissertation sur des choses si différentes.

II

On dit que les malheureux obligés de rester à Pétersbourg l’été, dans la poussière et la chaleur, ont à leur disposition un certain nombre de jardins publics où ils peuvent « respirer » un air plus frais. Pour ma part je n’en