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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


— Je ne demande pas mieux que de me mettre toute nue ! s’écria Avdotia Ignatievna.

— Ah ! ah ! Je vois que ce sera plus gai que chez Ecke.

— Moi, je vivrai encore ! je vivrai !

— Hé ! hé ! hé ! ricana Katiche.

— Marchez-vous aussi, grand-papa ?

— Je ne souhaite que cela : marcher ! Mais je voudrais que Katiche nous fît part tout d’abord de sa biographie.

— Je proteste ! Je proteste de toutes mes forces ! cria violemment Pervoiedov.

— Excellence, il vaut mieux laisser faire, susurra le conciliant Lebeziatnikov.

— Ce sera infect… ces filles !…

— Il est préférable de laisser dire, je vous le jure.

— On ne sera même pas tranquille dans son tombeau !

— D’abord dans le tombeau on ne donne pas d’ordres, et ensuite nous nous fichons de vous, scanda Klinevitch.

— Monsieur, ne vous oubliez pas !

— Oh ! vous ne me toucherez pas. J’ai donc toute liberté de vous taquiner comme si vous étiez le petit chien de Julie. Vous étiez général, là-haut, mais ici vous êtes… pouah !

— Je ne suis pas… pouah !

— Ici vous êtes en train de pourrir ! Qu’est-ce qui peut demeurer de vous ? Six boutons de cuivre !

— Bravo ! Klinevitch ! hurlèrent les voix.

— J’ai servi mon empereur !… j’ai une épée…

— Avec votre épée, vous pourrez pourfendre les rats du cimetière. Et puis, vous ne l’avez guère tirée, votre épée !

— Bravo, Klinevitch !

— Je ne comprends pas à quoi peut servir une épée, grogna l’ingénieur.

— L’épée, Monsieur, c’est l’honneur…

— Mais j’entendis mal ce qui suivit. Un affreux hurlement s’éleva. C’était Avdotia Ignatievna, l’hystérique, qui s’impatientait. Quand elle se fut un peu calmée :

— Voyons ! on n’en finit pas avec cette discussion ! quand va-t-on, décidément, tout raconter sans pudeur ?…