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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

— On dirait la voix d’un jeune homme ? soupira Avdotia Ignatievna.

— Si je suis ici, c’est bien grâce à cette diablesse de complication qui a tout bouleversé en moi. Me voici mort et si soudainement ! gémit le jeune homme. La veille au soir encore Schultz me disait : « Il n’y a plus à craindre qu’une complication possible », et crac ! le matin j’étais mort.

— Eh bien, jeune homme, il n’y a rien à faire à cela, observa le général assez cordialement. Il semblait ravi de la présence d’un « nouveau ». Il faut en prendre votre parti et vous habituer à notre vallée de Josaphat. Nous sommes de braves gens ; c’est à l’user que vous nous apprécierez… Général Vassili Vassilievitch Pervoiedov, pour vous servir…

— J’étais chez Schultz… Mais cette sale complication de grippe quand j’avais déjà la poitrine malade !… Ç’a été d’un brusque !

— Vous dites la poitrine ? fit doucement le fonctionnaire, comme pour encourager le « nouveau ».

— Oui, la poitrine. Je crachais beaucoup. Puis, brusquement, les crachats cessent, j’étouffe et…

— Je sais, je sais… Mais si vous étiez malade de la poitrine, c’est bien plutôt à Ecke qu’à Schultz qu’il fallait vous adresser.

— Moi je voulais tout le temps me faire transporter chez Botkine et voilà que…

— Hum ! Botkine, mauvaise affaire, interrompit le général.

— Pas du tout ; j’ai entendu dire qu’il était très soigneux de ses malades…

— C’est à cause du prix des services de Botkine que le général disait cela, remarqua le fonctionnaire.

— Vous êtes dans l’erreur ! Il n’est pas cher du tout ; et scrupuleux dans ses auscultations !… Et minutieux dans la rédaction de ses ordonnances ! Voyons, messieurs, me conseillez-vous d’aller chez Ecke ou chez Botkine ?

— Qui ?… Vous ? Où cela ? Le général et le fonctionnaire se mirent à rire.