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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

ce funèbre sous-sol, que peut-on demander à l’étage supérieur ?

Je continuai à écouter.

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— Non ! moi, je vivrai ! Non ! Je vous dis que je vivrai ! cria une autre voix encore inentendue qui partait de l’espace qui séparait la tombe du général de celle de la dame susceptible.

— Entendez-vous, Excellence ? C’était la voix du conseiller. Voilà notre homme qui recommence ! Tantôt il passe des trois jours sans souffler mot, tantôt il nous assomme continuellement de sa phrase bête : « Non ! moi je vivrai ! » il est là depuis le mois d’avril et il en revient toujours à déclarer qu’il va vivre !

— Vivre ici ! Dans ce lieu lugubre !

— Il est vrai que l’endroit manque de gaîté, Excellence. Aussi, si vous voulez, pour nous distraire, nous allons taquiner un peu Avdotia Ignatievna, notre susceptible voisine.

— Pas moi ! Je ne puis souffrir cette hautaine pimbêche.

— C’est moi qui ne puis vous supporter ni l’un ni l’autre ! s’écria la pimbêche. Vous êtes assommants tous les deux. Vous ne ressassez que des niaiseries. Voulez-vous, général, que je vous raconte quelque chose d’intéressant ? Je vous dirai comment un de vos domestiques vous a chassé de dessous un certain lit, avec un balai…

— Exécrable créature que vous êtes ! grinça le général.

— Oh ! petite mère Avdotia Ignatievna ! s’écria le boutiquier, tirez-moi d’un doute, je vous en prie ! Suis-je victime d’une horrible illusion ou est-elle réelle, l’atroce odeur qui m’empoisonne !

— Encore vous ! Mais c’est vous qui dégagez une affreuse puanteur quand vous vous retournez…

— Je ne me retourne pas, ma chère dame, et ne puis exhaler aucune odeur. Mes chairs sont encore intactes ; je suis en parfait état de conservation… Mais au fait, ma