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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

voix. : c’est comme si quelqu’un placé près de moi répétait souvent : « Bobok ! bobok ! bobok ! »

Qu’est-ce que ça peut bien être que Bobok ?


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Pour me distraire, je suis allé à un enterrement. Un parent éloigné à moi, un conseiller privé… J’ai vu la veuve et ses cinq filles, toutes vieilles demoiselles : cinq filles, ça doit coûter cher, rien qu’en souliers ! Le défunt avait d’assez jolis appointements, mais, à présent, il faudra se contenter d’une pension de veuve. On me recevait plutôt mal dans cette famille. Tant pis ! J’ai accompagné le corps jusqu’au cimetière. On s’est écarté de moi : on trouvait, sans doute, ma tenue trop peu luxueuse. — Au fait, il y avait bien vingt-cinq ans que je n’avais mis le pied dans un cimetière ; ce sont des endroits déplaisants. D’abord, il y a l’odeur !… On a porté à ce cimetière, ce jour-là, une quinzaine de morts. Il y a eu des enterrements de toutes classes ; j’ai même pu admirer deux beaux corbillards : l’un amenait un général, l’autre une dame quelconque. J’ai aperçu beaucoup de figures tristes, d’autres qui affectaient la tristesse et surtout une quantité de visages franchement gais. Le clergé aura fait une bonne journée. Mais l’odeur, l’odeur !… Je ne voudrais pas être prêtre et avoir toujours affaire dans ce cimetière-là.

J’ai regardé les visages des morts sans trop m’approcher. Je me méfiais de mon impressionnabilité. Il y avait des faces bonasses, d’autres très désagréables. Le plus souvent ces défunts ont un sourire pas bon du tout ; je n’aime guère à contempler ces grimaces. On les revoit en rêve.

Pendant le service funèbre, je sortis un moment : la journée était grise ; il faisait froid, mais nous étions déjà en octobre ; j’ai erré parmi les tombeaux. Il y en a de divers styles, de diverses catégories : la troisième catégorie coûte trente roubles. C’est décent et pas cher. Ceux des deux premières classes se trouvent, les uns