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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

était un beau jour évacué de son cercueil d’une façon ou d’une autre… il répondit qu’il serait toujours en garde contre une solution trop conforme aux lois de la nature… et qu’il résisterait !

La femme était de plus ou plus charmée de son rôle de fausse veuve : tout le monde lui témoignait de la sympathie ; le chef direct de son mari lui rendait de fréquentes visites, faisait des parties de cartes avec elle, etc…

Ici se terminait le premier épisode de ma nouvelle, que je laissai inachevée, mais que je reprendrai un jour ou l’autre.

Voici pourtant le parti que l’on a tiré de cette plaisanterie :

À peine ce que j’avais écrit de ce récit eût-il paru dans la revue l’Époque (c’était en 1865), que le journal la Voix (Goloss), se livra aux plus étranges commentaires au sujet de la nouvelle. Je ne me souviens plus exactement du texte du factum, mais son rédacteur s’exprimait à peu près comme il suit au début de son article :

« C’est en vain que l’auteur du « Crocodile » s’exerce à un genre d’humour nouveau pour lui : il n’en recueillera ni l’honneur ni les profits qu’il escompte, etc. » ; puis, après m’avoir infligé quelques piqûres d’amour-propre assez venimeuses, le revuiste recourait à des accusations embrouillées, certainement perfides, mais incompréhensibles pour moi. Une semaine plus tard, je rencontrai M. N. N…, qui me dit : « Savez-vous ce que l’on pense en divers milieux ? Eh bien, on affirme que votre « Crocodile » n’est qu’une allégorie : il s’agit de la déportation de Tchernischevsky, n’est-ce pas ? » Tout abasourdi d’une pareille interprétation, je jugeai cependant négligeable une opinion aussi fantaisiste : Un bruit semblable ne pouvait avoir d’écho. Pourtant, je ne me pardonnerai jamais ma négligence et mon dédain en cette occurrence, car cette sotte invention n’a fait que prendre corps et s’embellir ; mon silence même a encouragé les commentateurs. « Calomniez ! Calomniez ! Il en restera toujours quelque chose ! »

Où donc est l’allégorie ? Ah ! sans doute, le crocodile représente la Sibérie, et le fonctionnaire présomptueux