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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

parole semblera claire et compréhensible, mais l’ensemble du discours n’offrira aucun sens. Sont-ce les œufs désormais qui feront la leçon à la poule ? Ce sera l’absolue confusion. Le type de ce monsieur est encore nouveau pour notre littérature. Il y a comme cela un certain nombre de gens et de chose d’actualité, que notre littérature n’a pas encore abordés. Nous en sommes toujours aux types des «  années quarante  », ou, par exception, des années cinquante. Peut-être nous sommes-nous justement jetés dans le roman historique, pour cause d’incompréhension de l’actualité.


II


PEUT-ON EXIGER CHEZ NOUS DES FINANCES À L’EUROPÉENNE


« Eh bien ! qu’est-ce que font les finances ? Où est l’article financier ? » me demandera-t-on. C’est que je n’ose guère écrire quoi que ce soit sur les finances. Pourquoi ai-je, alors, commencé à rédiger des considérations financières ? Sans doute parce que je prévoyais qu’en débutant ainsi, je passerais forcément à un tout autre ordre d’idées. D’ailleurs, je sais que je ne vois pas du tout nos finances d’un point de vue européen, peut-être parce que je considère que notre pays ne ressemble pas le moins du monde à l’Europe, que tout est si spécial chez nous que, pour les Européens, nous pouvons ressembler à des habitants de la lune. En Europe, la féodalité a croulé depuis des siècles, et une révolution a grondé. Chez nous, le servage a été aboli d’un seul coup, et cela, grâce à Dieu ! sans aucune révolution. Mais tout ce qui tombe d’un seul coup produit toujours un grand ébranlement. Il est certain que ce n’est pas moi qui me plaindrai de la disparition du servage. Je trouve, au contraire, excellent qu’une infamie historique se soit évanouie à