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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Dans ce poème, Pouschkine se révéla le grand poète populaire, plus grand que tous ceux qui le précédèrent ou le suivirent. En nous montrant ce type du vagabond russe, il a prophétiquement deviné son immense importance pour notre sort à venir et a su mettre à côté de cet Oniéguine la plus belle figure de femme russe de toute notre littérature. Du reste, il est le premier qui nous ait donné toute une série de beaux types russes vrais, qu’il a découverts dans notre peuple. Je rappellerai encore une fois que je ne parle pas en critique littéraire et que c’est pour cela que je ne me livre pas à un examen plus détaillé de ces œuvres géniales. On pourrait écrire un livre entier rien que sur le type du moine historien pour expliquer toute la signification de cette grandiose personnalité russe magnifiquement dépeinte par Pouschkine, pour faire sentir toute la beauté spirituelle de cette figure. Ce type existe ; il n’est pas une simple idéalisation de poète. Et l’esprit du peuple qui l’a produit est aussi existant, et la force vitale de cet esprit est immense. Partout dans l’œuvre de Pouschkine vous verrez éclater sa foi en l’âme russe.


Dans l’espoir de la gloire et du bien,
Je regarde devant moi sans crainte.


a-t-il dit lui-même, et ces paroles peuvent être appliquées à toute son activité de création nationale. Aucun écrivain russe n’a su acquérir en quelque sorte une telle parenté avec le peuple. Certes il y a de bons appréciateurs de notre peuple parmi nos écrivains ; pourtant, si on les compare avec Pouschkine, à l’exception d’un ou deux de ses successeurs les plus indirects, ce ne sont jamais que des « messieurs » qui écrivent sur le peuple. Chez ceux d’entre eux qui ont le plus de talent, et même chez ces deux dont je viens de parler, perce tout à coup quelque chose de hautain, une intention de bien montrer qu’on daigne élever le peuple jusqu’à soi. Chez Pouschkine il y a une véritable familiarité avec le peuple, une sorte de tendresse pour le peuple, une franchise et une bonhomie réelles. Vous souvenez-vous de la légende de l’ours et