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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

natale. » Telle est la solution selon le peuple. « La vérité n’est pas en dehors de toi, elle est en toi-même ; soumets-toi à toi-même ; reconquiers-toi toi-même et tu connaîtras la vérité. Elle est dans ton propre effort contre les faussetés apprises. Une fois vaincu et subjugué par toi-même, tu deviendras libre comme tu n’avais jamais imaginé qu’on pût l’être ; tu entreprendras la grande œuvre de l’affranchissement de tes semblables ; tu seras heureux parce que ta vie sera bien remplie, et tu comprendras enfin ton peuple et sa vérité sainte. L’harmonie mondiale n’est ni chez les Tsiganes, ni nulle part pour toi, si tu n’es pas digne d’elle, si tu es méchant et orgueilleux, si tu veux la vie sans la payer d’un effort.

La question est déjà bien posée dans le poème de Pouschkine. Elle sera encore plus clairement indiquée dans Eugène Oniéguine, un poème qui n’a plus rien de fantaisiste, mais qui est d’un réalisme évident ; un poème dans lequel la vraie vie russe est évoquée avec une telle maîtrise que rien d’aussi vivant n’a été écrit avant Pouschkine ni peut-être depuis lui.

Oniéguine arrive de Pétersbourg, et c’est bien de Pétersbourg qu’il doit arriver pour que le poème ait toute sa signification. C’est toujours un peu Aleko, surtout lorsqu’il s’écrie, dans l’angoisse :


Pourquoi, comme l’assesseur de Toula,
Ne suis-je vaincu par la paralysie ?


Mais au début du poème il conserve un peu de fatuité, il demeure mondain et a vécu trop peu de temps pour être désillusionné de la vie. Mais déjà commence à le fréquenter


Le noble démon de l’ennui caché.


Au cœur même de sa patrie il se sent exilé. Il ne sait quoi faire ; il se sent « comme son propre invité ».

Ensuite, quand, pris d’angoisse, il erre à travers sa patrie, puis à l’étranger, il se croit, en homme sincère qu’il est, plus étranger à lui-même chez les étrangers. Quant à sa