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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

premier moment d’émotion. Mais cela m’a donné l’idée d’expliquer toute ma pensée.

II

POUSCHKINE, LERMONTOV ET NÉKRASOV


D’abord, il me semble qu’on ne doit pas employer le mot « byronien » comme injure.

Le byronisme n’a été qu’un phénomène momentané, mais il a eu son importance et il est venu à son heure. Il apparut à une époque d’angoisse et de désillusion. Après un enthousiasme effréné pour un idéal nouveau, né à la fin du dix-huitième siècle en France. — et la France était alors la première nation européenne, — l’humanité se reprit et les événements qui suivirent ressemblèrent si peu à ce qu’on avait attendu, les hommes comprirent si bien qu’on s’était joué d’eux, qu’il y eut peu de moments aussi tristes dans l’histoire de l’Europe occidentale. Les vieilles idoles gisaient là renversées, quand se manifesta un poète puissant et passionné. Dans ses chants retentit l’angoisse de l’humanité, et il pleura de déception. C’était une muse inconnue encore que celle de la vengeance, de la malédiction et du désespoir. Les cris byroniens trouvèrent partout un écho. Comment ne se fussent-ils pas répercutés dans un cœur aussi grand que celui de Pouschkine ? Nul talent un peu intense ne pouvait alors éviter de passer par le byronisme. En Russie, également, bien des questions douloureuses demeuraient en suspens, et Pouschkine eut la gloire de trouver, au milieu d’hommes qui le comprenaient à peine, une issue à la triste situation de l’époque : le retour au peuple, l’adoption de la vérité populaire russe. Pouschkine a été le Russe par excellence. Le Russe qui ne comprend pas Pouschkine n’a pas le droit de se considérer comme Russe. N’est-ce pas