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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

qui le conduisent le guettent et, s’il veut tenir sa parole de conserver les institutions républicaines, lui substitueront un Bonaparte. On affirme que c’est pour cela qu’ils l’ont poussé à soutenir les candidatures bonapartistes en lui prouvant qu’il travaillait pour lui. En un mot, on sent là-dessous un immense mouvement catholique.

On dit que la santé du Pape est « satisfaisante ». Mais si, par malheur, la mort du Pape coïncidait avec les élections en France, la guerre d’Orient pourrait bien se transformer en lutte pan-européenne.

III

LE MENSONGE SE SAUVE PAR UN MENSONGE


Un jour Don Quichotte, le chevalier si connu, le plus magnanime chevalier qui ait jamais existé, vagabondant avec son fidèle valet d’armes Sancho, eut un accès de perplexité. Il avait lu que ses prédécesseurs des temps anciens, Amadis de Gaule, par exemple, avaient eu parfois à combattre des années entières des cent mille soldats envoyés contre eux par les puissances des ténèbres ou de magiciens. Ordinairement, un chevalier qui rencontrait une pareille armée de réprouvés tirait son glaive, appelait à son secours spirituel le nom de sa Dame et se jetait seul au milieu des ennemis qu’il exterminerait jusqu’au dernier. Tout cela était fort clair ; mais ce jour-là, Don Quichotte demeura pensif. Comment voulait-on qu’un chevalier, si fort et si vaillant qu’il fut, exterminât cent mille adversaires en un seul combat de vingt-quatre heures ? Pour tuer chaque homme, il faut du temps ; pour en tuer cent mille, il faut un temps immense. Comment tout cela pouvait-il se passer ?

— Je suis sorti de ma perplexité, ami Sancho, dit à la