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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

déjà parlé de la situation politique de la France dans mon Carnet de mai-juin. Tout s’est passé comme je le prévoyais alors.

Dans le manifeste, Mac-Mahon promet de respecter les « droits légitimes », de faire tout pour la paix, mais déclare toutefois que, si le pays lui renvoie l’ancienne majorité républicaine, il sera forcé de résister aux volontés dudit pays. Cette étrange résolution doit avoir quelque motif. Il n’aurait pas osé parler d’un pareil ton, s’il ne croyait pas à son succès ; il faut qu’il mette tout son espoir dans l’armée et soit parfaitement sûr de ses chefs. Dans le voyage qu’il a fait cet été, et pendant lequel il a visité beaucoup de villes, trop de villes, la population l’a accueilli sans enthousiasme, mais partout l’armée de terre et la marine ont témoigné de leur fidélité par des acclamations. Les intentions du Maréchal doivent être fort innocentes. S’il parle d’aller contre le gré du pays, c’est probablement parce qu’il croit faire ainsi son bonheur malgré lui. On ne doute pas des qualités morales de Mac-Mahon ; mais il est d’autres qualités qui lui manquent, peut-être. Il paraît que le Maréchal est de ceux qui ne peuvent se passer d’une sorte de tutelle. Son caractère offre quelques particularités curieuses. Par exemple, une question se pose. Pour qui travaille-t-il ? Pour qui se donne-t-il tant de mal ? Il est certain que quelqu’un le conduit et qu’il est seul en Europe à l’ignorer. Des gens adroits lui persuadent évidemment qu’il s’agit de son propre gré, tout en le menant où ils veulent. Il n’y a qu’un seul parti où l’on puisse rencontrer des gens aussi malins : c’est le parti clérical. Les autres factions, en France, ne brillent pas par l’habileté. Le Maréchal semble protéger les candidats bonapartistes qui escomptent leur propre victoire aux prochaines élections. L’armée paraît incliner de ce côté ; on a même affirmé que le prince Impérial a quitté l’Angleterre et à l’intention de se rendre à Paris. Mais croit-on que le Maréchal prend tant de peine uniquement pour faire monter le prince Impérial sur le trône ? Moi je pense que non. Maintenant, nous avons vu dans les journaux quelques combinaisons vraiment extraordinaires. N’a-t-on pu lire, il y a un mois environ, que