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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

la République, on l’attribue à des circonstances extérieures gênantes, à des prétendants, à des ennemis perfides. Pas une fois on ne songe à la ténuité des racines qui unissent la République au sol français. Pas une fois pendant ces six années, les républicains n’ont pensé que la situation héritée de Napoléon III était toujours aussi critique, que de nouveaux dangers approchaient, qui pouvaient la faire encore plus critique et rendre leur gouvernement impossible en France.

Quel est le plus chaud partisan de la République française ? quel est l’homme qui désire le plus qu’elle s’affermisse ? C’est le prince de Bismarck. Avec la République, aucun danger de guerre de revanche. Qui croira que les républicains vont aller déclarer la guerre aux Allemands ? Toutefois les blessures vont se cicatriser, des forces nouvelles naîtront, des armées vont se créer, et la nation qui a eu si longtemps un rôle prépondérant dans la politique européenne, voudra reconquérir son ancienne situation. On voudra secouer la tutelle de Bismarck et recouvrer l’indépendance d’autrefois. (On ne peut guère dire que la France soit aujourd’hui indépendante.) Et dès son premier pas la France se heurtera à sa république ! car les républicains, je le répète, ne veulent en rien fâcher le prince de Bismarck et risquer une guerre avec lui. Si l’Allemagne les battait de nouveau ? Ce serait la fin de la République. La France l’accuserait de tous les insuccès et chasserait à jamais les républicains, oubliant que c’est elle-même qui a voulu la « revanche » pour reprendre son ancienne influence en Europe. Si les républicains tenaient bon et refusaient de déclarer la guerre, on leur reprocherait de s’opposer au désir du pays, on leur ôterait leurs places, et la France se donnerait au premier chef un peu adroit qui se présenterait. Je suis sûr qu’ils n’ont jamais pensé qu’ils étaient des protégés du prince de Bismarck, et qu’à mesure que la France reprendra des forces, elle les méprisera davantage, jusqu’au jour où elle manifestera son mépris à haute voix.

Mais les républicains n’ont pas le sens du comique. Ce sont des hommes théâtraux ; — maintenant qu’ils se