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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

« glorieuse » où l’usurpateur tomberait et où le pays les appellerait de nouveau. Et qu’est-il arrivé ? Ils se sont emparés du pouvoir après Sedan et ces ratés ont eu tout de suite sur le dos une guerre désastreuse dont ils ne voulaient pas, un héritage du susdit usurpateur, parti pour fumer des cigarettes dans le délicieux château de Wilhelmshoë. Cet usurpateur a dû assez rire de ces gens qui endossaient sa propre faute. Car se sont eux encore plus que lui que la France a, par la suite, blâmés de n’avoir pas su arrêter à temps une lutte sans espoir, d’avoir perdu deux grandes provinces et cinq milliards, d’avoir ruinés le pays en guerroyant au hasard, sans ordre et sans contrôle. On tombe sur Gambetta qui n’est coupable de rien, qui, au contraire, a fait tout ce que l’on pouvait faire en d’aussi horribles circonstances. En un mot on accuse fermement, aujourd’hui, les républicains d’avoir fait le malheur du pays par leur maladresse. La première cause de ce malheur a été l’empereur Napoléon ? Soit. Mais eux, pourquoi n’ont-ils pas remédié aux fautes commises ? Ce n’est pas tout : On veut qu’ils aient encore empiré la situation. Mais comment eussent-ils pu faire la paix quand ils sont arrivés au pouvoir ? C’était impossible. Les Allemands eussent, quand même, exigé une cession de territoire et de l’argent, et que fussent devenus les républicain dans ces conditions ? On les eût taxés de lâcheté. Et quoi ! aurait-on dit, — ils « avaient encore une armée » et ils cédaient honteusement ! C’eût été une tache pour leur république nouvelle. Et comme la restauration de la forme républicaine leur était beaucoup plus chère que le salut du pays, ils durent continuer la guerre, tout en comprenant que plus la fin tarderait, plus le désastre serait terrible.

Dès qu’ils eurent fait la paix avec l’Allemagne et se mirent à gouverner le pays, ils se figurent que la nation était prise pour eux d’une affection inébranlable. C’était un peu comique. Décidément il existe chez tout républicain une conviction fort malheureuse, à savoir que le mot de « république » suffit à tout et qu’il n’y a qu’à dire que le pays est une République pour que son bonheur soit assuré de l’éternité. Tout ce qui arrive de fâcheux à