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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

SEPTEMBRE



I

LE MALHEUREUX ET LES RATÉS


Il est difficile de s’imaginer des gens plus malheureux que les républicains français et quelque chose de plus triste que leur république. Voici bientôt cent ans que cette forme de gouvernement apparut chez eux, et depuis lors (nous en sommes au troisième essai), chaque fois qu’un usurpateur adroit a confisqué la République à son profit, elle n’a trouvé personne pour la défendre sérieusement. Seuls, des groupes insignifiants ont tenté quelque résistance. Et tant qu’elle durait, la République n’était jamais regardée comme un gouvernement définitif. Néanmoins il n’y a pas de gens plus convaincus que les républicains français de la sympathie que leur porte le pays.

À la fin du siècle dernier et en 1848 ils pouvaient peut-être compter sur quelque bonne volonté. Mais les républicains d’aujourd’hui, destinés tôt ou tard à être mis de côté avec leur république par un personnage encore inconnu, ne devraient espérer rien de pareil. Ils n’existent qu’en vertu de ce proverbe : Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Et cependant, à la veille de leur chute presque certaine, ils croient la victoire assurée.

A-t-elle été assez malheureuse, cette troisième République ! Rappelons-nous comment elle est née. Les républicains français ont attendu près de vingt ans la minute