bandits qui les écoutaient avec recueillement. Tout cela avait été appris, non dans un volume, mais oralement. Le peuple y trouve comme quelque chose qui se fait repentir. Il est arrivé que des êtres affreusement corrompus, des exploiteurs, des oppresseurs aient été pris, en entendant ces récits, du désir de partir pour un pèlerinage, et de rechercher par le travail et la peine vaillamment supportée ; parfois, ils se rappelaient un vœu, — oublié depuis longtemps — de s’en aller vers les Lieux saints, sinon jusqu’à Jérusalem, du moins jusqu’aux Lieux saints russes, à Kiew, au couvent Solovetzsky. Nékrassov, en créant son type de Vlass, n’a pu se l’imaginer autrement que portant des chaînes dans un pèlerinage expiatoire. Ce trait n’existe chez aucun autre peuple européen. Tout cela durera-t-il ? L’instruction semble changer beaucoup notre moujik, mais en attendant, c’est ce trait seul qui peut expliquer cette énigme du caractère conscient, du mouvement populaire de l’année dernière. Un, sur mille de nos moujiks, comme dit Lévine, savait peut-être qu’il existait des Serbes, des Bulgares, des Monténégrins, qui étaient nos corréligionnaires ; mais tout notre peuple avait entendu dire qu’il y avait des chrétiens orthodoxes sous le joug mahométan. Lors de la guerre avec la Turquie, guerre vieille de vingt ans, qui se termina par Sébastopol, on lui avait parlé des chrétiens martyrisés en Orient et, avant que notre peuple ne prit feu pour la cause des Slaves orientaux, il n’ignorait pas que ces Slaves avaient été torturés par les Turcs. J’ai entendu, moi-même, des gens du peuple se demander : « Est-il vrai que le Turc se lève de nouveau contre les chrétiens ? »
La libération des serfs est déjà relativement assez ancienne, et les nouveaux hommes libres ont vu augmenter parmi eux l’ivrognerie, la dissipation et la puissance des usuriers. N’y a-t-il pas, chez eux, comme un repentir, un besoin de s’améliorer, de retourner vers les choses saintes ? Et, subitement, retentit l’appel des chrétiens persécutés pour leur attachement à notre Église, à la croyance chrétienne. Ils savaient, nos moujiks, que ces Chrétiens seraient épargnés et même récompensés