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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

existe-t-il une loi qui interdit aux particuliers de prendre part à une guerre sans l’assentiment des autorités gouvernementales, d’entrer au service d’un gouvernement étranger. On ne peut affirmer qu’il n’y ait pas une loi de ce genre, une loi très vieille et non encore abrogée, mais le gouvernement y pourrait toujours avoir recours. Est-ce cela qu’il veut, Lévine ? De quoi se mêle-t-il ? C’est pourtant à ce sujet qu’il s’émotionne le plus.

— … Mais pardon, monsieur, il me semble que tout ce qui n’est pas expressément défendu est permis…

— Pas du tout, monsieur, tout ce qui n’est pas expressément permis est défendu…

Cette courte conversation a lieu en France, entre un « homme d’ordre » et un « homme de désordre ». Mais il s’agit d’un « homme d’ordre » qui ne connaît que sa consigne et la défend, comme le veut son rôle. Lévine est-il aussi un homme de ce genre ?

D’ailleurs, tout le peuple, en voulant porter secours aux Chrétiens opprimés savait parfaitement qu’il avait raison, qu’il ne faisait rien contre la volonté du Tzar. Il le savait. Ceux qui fournissaient une aide aux volontaires avaient aussi conscience de cela. On attendait avec patience et espoir la parole du Tzar, tout le monde en pressentait le sens et on ne se trompait pas.

On accuse le peuple d’avoir forcé la main au gouvernement, mais Lévine et le prince, eux-même, défendent le peuple de cette accusation en affirmant qu’il n’a rien compris, qu’il n’y a eu qu’une campagne de presse destinée à procurer aux journaux un plus grand nombre d’abonnés.

— Les opinions personnelles ne signifient rien en ceci, dit Serge Ivanovitch. Qu’importent les opinions personnelles quand tout le peuple russe a exprimé sa volonté.

— Mais, pardonnez-moi, réplique le prince, je ne vois pas cela, moi ! Le peuple et la noblesse ne savent pas.

— Comment, papa, ils ne savent pas ? fait Dolly, qui s’intéresse à la conversation, mais dimanche dernier, à l’église…