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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

le lait, alors, ils n’auront plus ni lait, ni tasses. Les enfants qui n’ont rien cru de cela se mettent à rire parce qu’ils ne peuvent comprendre que ce qu’ils détruisent c’est ce qui les fait vivre.

« Tout cela leur viendra d’eux-même, se dit Lévine. Il n’y a pas besoin d’y penser ; tout cela est déjà prêt à se formuler ; et nous voulons trouver des choses neuves et bien à nous ! Alors imaginons de mettre des framboises dans les tasses et de les cuire à la flamme d’une bougie ou bien de nous verser du lait du pot dans la bouche, directement. C’est gai et nouveau, et il n’y a rien de plus mal à cela qu’à boire dans une tasse.

« N’est-ce pas là ce que j’ai fait moi-même, continue-t-il, en cherchant par la raison la signification des forces de la nature et le sens de la vie de l’homme ? N’est-ce pas ce que font toutes les théorie philosophiques… Ne résulte-t-il pas de la lecture de tous les philosophes qu’ils connaissent d’avance, tout comme le moujik Fédor, et, bien entendu, plus clairement que lui, le sens de la vie ? Ils en reviennent tout naturellement par le chemin douteux de la raison à ce que tout le mode sait. Faites que les enfants soient obligés de fabriquer eux-même leur vaisselle, de traire le lait, etc. S’ils font des bêtises, alors ils mourront de faim… »

En un mot, les doutes disparaissent, et Lévine croit… Mais en quoi ? Il n’est pas encore fixé là-dessus ; mais il croit. Est-ce vraiment la croyance ? Il se pose lui même la question : « Est-ce bien la foi ? » Il faut croire que ce n’est pas encore la foi. Il est douteux que des hommes comme Lévine arrivent à la foi complète. Lévine aime à dire qu’il fait partie du peuple ; mais c’est un gentilhomme moscovite, entre « moyenne » et « haute » noblesse, de ce monde dont l’historiographie par excellence est le comte Léon Tolstoï. Le moujik n’a rien dut de nouveau à Lévine, mais il l’a poussé vers une idée qui le mène à la foi. C’est à cela même que Lévine pourrait voir qu’il n’est pas tout à fait dans le vrai quand il dit : « Moi-même je suis du peuple. » Je veux simplement dire que les Lévine, si longtemps qu’ils vivent près du peuple, ne deviendront