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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

en commençant l’œuvre pénible de l’éducation de vos enfants ne devriez-vous pas vous dire que vous seuls êtes les coupables. Si vous pouvez faire cela vous réussirez dans votre projet : Dieu aura éclairci votre conscience : sinon, n’essayez pas d’entreprendre quoi que ce soit vous-même.

Ce à quoi vous devez tendre tout d’abord, c’est à effacer de leurs mémoires de trop tristes souvenirs. Vous aurez tout, en quelque sorte, à recréer en eux. Comment y parviendrez-vous ? Ah ! si vous apprenez de nouveau à les aimer, vous obtiendrez d’eux tout ce que vous voudrez. Mais il faut comprendre l’importance de mille petits soins considérés comme futiles et terre-à-terre. Pour cela il importera de renoncer à votre apathie, ne pas leur donner l’exemple de l’incurie dans la vie domestique. Croyez-moi. Un père devrait refaire sa propre éducation avant de s’occuper de celle de ses enfants. Si l’amour des parents est grand, les enfants oublieront vite tout ce qu’ils ont pu voir de comique ou de fâcheux dans votre vie ; leurs cœurs trouveront des circonstances atténuantes pour vos erreurs. Mais dans une famille désunie, c’est tout le contraire qui arrivera. Votre femme à la morbide manie de se faire gratter les talons avant de s’endormir. La servante a déposé qu’elle n’avait pu longtemps se charger de cette petite corvée, ses mains ayant « enflé » . Alors c’est votre fils qui a dû la remplacer. Si sa mère l’avait sincèrement aimé, il pourrait se rappeler cette manie d’un être cher avec un bon sourire. Mais j’imagine ce qu’il éprouvait quand, pendant une heure et plus, il se livrait à une occupation aussi ridicule que fatigante en se disant que d’une minute à l’autre sa mère pouvait bondir sur lui et le maltraiter sans raison. Il devait penser que sa mère qui le négligeait si complètement ne se souvenait de lui que pour le battre ou l’astreindre à des tâches grotesques. Mettez-vous un peu à sa place ! Supposez qu’à trente ans il se rappelle ces moments de son enfance. Avec quelle colère n’y songera-t-il pas ? Il se peut qu’il n’oublie jamais jusqu’à la fin de sa vie… Il haïra ses souvenirs, son enfance, la maison familiale et tous ceux qui y vivaient avec lui. Il faudra que, grâce