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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

dans le water-closet. Vous me direz qu’ils avaient mérité d’être punis et que le water-closet était chauffé et que le châtiment n’était pas féroce. Mais jugez un peu de la honte et de la colère qu’ils devaient éprouver en se voyant enfermés dans un pareil endroit ! N’était-il pas naturel qu’ils fussent pris d’idées de révolte et que leur amour pour leur parents diminuât beaucoup, risquât même de disparaître complètement ? Ils sentaient que vous ne faisiez pas votre devoir à leur égard, que vous vous moquiez de leurs sentiments de dignité humaine, et chez le plus petit garçon ces sentiments existe. Vous n’avez pas songez aux souvenirs que ses enfants emporteront dans la vie, peut-être jusqu’à la tombe. Et avez-vous fait quelque chose pour prévenir la nécessité de châtiments aussi humiliant ? Vous paraissez croire que vous pris toutes les peines du monde pour élever ces enfants ; je suis persuadé pourtant que vous-même devez éprouver un doute à ce sujet. Vous avez, dites-vous, dépensé plus que vous ne pouviez en engageant précepteurs et institutrices. Certes un éducateur est nécessaire mais est-il bien de vous décharger de tous soins pour vos enfants ? Mais vous avez pensé qu’en payant une certaine somme, vous aviez tout fait, que vous vous étiez imposé des dépenses au-dessus de vos moyens. Et moi je vous assure que vous n’avez fait que le minimum de ce que vous aviez à faire. Vous avez oublié que les âmes enfantines ont besoin d’un contact incessant avec les âmes des parents. Vous avez exigé trop tôt une récolte d’un terrain dans lequel vous n’aviez rien semé vous-même ; ne l’ayant pas obtenus, vous vous êtes fâches, irrités contre de jeunes enfants, trop tôt, encore trop tôt !

Tout cela provient que ce que l’éducation des enfants demande du travail un travail qui à tels parents semble accablant. Ces parents s’en affranchissent en payant des étrangers, mais quand l’argent se fait rare, ils s’exaspèrent jusqu’à la férocité, torturent les petits coupables, les fouettent de verges. ici encore apparaît l’apathie, l’incurie des parents. Tout ce qu’il aurait pu obtenir