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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

bien fait ! » Je suis sûr que, quelques jours après, les enfants se seront repentis de leur hideuse action. Le cœur d’êtres de cet âge n’est pas mauvais.

Je connais une petite histoire à ce sujet. Une femme mourut, laissant plusieurs enfants, dont une petite fille de sept à huit ans. En voyant sa maman morte, la fillette se mit à sangloter si fort qu’on dut l’emporter, prise d’une attaque de nerfs. Une stupide vieille femme qui la vit dans cet état ne trouva rien de mieux pour la consoler que de lui dire : « Ne pleure pas tant : elle ne t’aimait guère ta maman, tu t’en souviens bien, elle t’a punie, elle t’a mise en pénitence dans un coin ! » La vieille bête atteignit son but : l’enfant ne pleure plus et sembla se consoler à tel point que le lendemain, tout le temps que durèrent les funérailles, elle garda un air froid, méchant, comme offensé : « Puisqu’elle ne m’aimait pas ! » L’idée qu’elle avait été persécuté lui plut ; mais cette fantaisie ne dura guère. Quelques jours plus tard, l’enfant fut reprise de chagrin et s’affligea si fort de la mort de sa mère qu’elle en tomba malade et, plus tard, elle ne put jamais songer à la morte sans une pieuse émotion.

Pour ce qui est des petits Djounkowsky, certes, on devait les punir, sévèrement même ; toutefois leur mauvaise action était tout bêtement enfantine. Quant à la polissonnerie du jeune Nicolas, qui se déclara catholique romain pour ne pas suivre les cours d’instructions religieuse, c’était une prouesse de collégien fier de pouvoir dire à ses camarades : « Ah ! vous autres, vous faites des devoirs pour le pope, moi je m’en suis affranchi ; je les ai tous mis dedans e profitant de ce que mon nom de famille a un faux air polonais. » C’est une niche d’écolier. M. Djounkowsky, lui, en juge autrement, puisqu’il s’en lamente devant le tribunal.

Chez nous dans les tribunaux, lorsque les accusés sont acquittés bien que coupables, et surtout par suite d’un mouvement de pitié des juges, il arrive que le président en déclarant au prévenu qu’il est libre, lui adresse quelques paroles pour lui montrer comment il doit prendre acquittement et comment il pourra éviter de