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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

petite idée générale quelconque et arriverons-nous à un nouvel accord. En attendant, l’ordre des choses actuelles amène le désordre et l’incurie. Il y a pourtant des pères qui ne sont pas inactifs, qui se montre même très laborieux dans leur recherche d’un meilleur régime physique et moral à donner aux enfants. Ce sont, pour la plupart, des pères à idées. Tel, après des expériences et des études pas bête du tout, après avoir lu deux ou trois ouvrages spéciaux très spirituels, ramène tous ses devoirs envers ses enfants à un seul : Les gaver de beefsteak : « … le beefsteak très saignant, pas besoin d’autre chose, Liebig l’a dit… » Un autre, homme très honnête, qui a même naguère fait une réputation d’esprit, a renvoyé déjà trois bonnes d’enfants : « On ne peut pas se fier à cette vaurienne. Il y avait une chose que j’avais expressément défendue, eh bien j’entre dans la chambre des enfants et qu’est-ce que je vois et entends ? La bonne en train de coucher ma petite Lise, tout en lui parlant de la Vierge et en lui faisant faire des signes de croix : Dieu, aie pitié de papa et de maman… Je vais prendre une Anglaise, mais serai-je plus tranquille ? » Un troisième cherche une maîtresse pour son fils âgé de quinze ans. « C’est que, vous savez, sans cela il prendra de vilaines habitudes, oui bien il courra après les filles des rues et attrapera de sales maladies. Il est mieux de le pourvoir tout de suite. » Un quatrième développe chez son fils de dix-sept ans les idées les plus terriblement avancées, et le grand polisson, tout naturellement (comment voulez-vous qu’il fasse avec tant d’idées et si peu d’expérience ?) tire de tous ces principes, dont quelques-uns sont excellents, cette conclusion qu’on a le droit de tout faire, même des horreurs ! Qu’arrive-t-il ? Que l’enfant, en plus de tout un lot d’idées mal comprises, emporte dans la vie un souvenir comique de son père, oui un souvenir comique, une image ridicule.

Mais ces laborieux ne sont pas en majorité. Les apathiques sont bien plus nombreux. Toute société qui se décompose engendre l’indifférence et le laisser aller. On ne voit plus clairement devant soi et on n’a plus l’énergie de changer de chemin. La plupart des pères ne savent plus quoi faire et vous envoient promener. « Que le