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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

déjà dit que les Allemands craignent que la Russie s’aperçoive tout à coup de la force de sa situation, car, je le répète, les destinées de l’Allemagne dépendent fatalement de son accord avec la Russie, surtout depuis la guerre franco-prussienne. Ce secret de l’Allemagne peut se dévoiler soudain, au grand détriment de l’Empire allemand. Jusqu’à présent la politique allemande s’est montrée assez franche et amicale vis-a-vis de la Russie, mais l’Allemagne affectait la tranquille fierté d’une puissance qui n’a besoin d’aucune aide : Pourtant aujourd’hui les difficultés doivent se faire voir. Si la France cléricale se décide à une guerre, il ne s’agira plus simplement pour l’Allemagne de la vaincre, ou de repousser son assaut si elle prend l’offensive, il faudra l’écraser pour toujours. Comme la France a encore plus d’un million de soldats, il sera nécessaire d’obtenir un engagement formel de la Russie. Le pis est justement que tout cela soit si subit. Les comptes anciens se sont embrouillés, ce sont les événements qui dérangent les projets et non plus les projets qui règlent les événements. La France peut commencer à agir demain, dès qu’elle aura obtenu un peu d’ordre chez elle. Elle se jette visiblement dans la politique des aventures et où s’arrêteront les aventures ? C’est bien fâcheux pour les Allemands qui se targuaient tout récemment d’une si fière indépendance. Rappelons-nous que, cette année même, la Russie cherchait, elle aussi ; à discerner ses amis de ses adversaires en Europe, et que l’Allemagne affecta les allures triomphantes qui convenaient en la circonstance. Naturellement, toute agitation du monde slave est inquiétante pour l’Allemagne : toutefois la déclaration de guerre de la Russie ne pouvait être agréable aux Allemands : « Maintenant » pensaient les bons Germains, « la Russie ne devinera pas que nous avons besoin d’elle. Bien au contraire, aujourd’hui qu’ils sont poussés du côté du Danube, « ce fleuve allemand », les Russes vont se croire obligés de compter avec nous parce que la guerre ne se terminera pas sans que nous ayons fait entendre notre parole qui a du poids. Et il est bon que les Russes aient cette opinion qui nous sera utile un jour ou l’autre. » La presse allemande abon-