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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

de bases solides, et les cléricaux ne doivent pas être forts inquiets ! Les petits vieillards au cœur pur, naïfs malgré leur longue expérience, ignorent vraiment à quelles gens ils ont affaire. Si les élections prochaines ne donnent pas ce que le clergé espère, on se débarrassera de la nouvelle Chambre, malgré tous les principes constitutionnels. Cela sera illégal, partant impossible, m’objecterez-vous ? Les hommes de l’armée noire se moquent un peu des lois ; il y a des précédents qui le prouvent. Ils pousseront le maréchal de Mac-Mahon à se servir du despotisme militaire, et le maréchal, assuré de la fidélité de l’armée, n’aura aucun mal à chasser l’assemblée si elle se prononce contre lui : on emploiera les baïonnettes, s’il le faut, et après cela on déclarera au pays que c’est l’armée qui l’a voulu. Comme les empereurs romains de la décadence, Mac-Mahon pourra ensuite informer les masses de sa résolution de se « conformer désormais à la volonté des légions » ; ce sera le règne de l’état de siège permanent, de la tyrannie du sabre et vous verrez, vous verrez, que cela plaira, en France, à un certain nombre de gens ! Si la nécessité s’en fait sentir, on reverra les plébiscites qui, à la majorité des voix dans toute la France permettra la guerre et autoriseront le gouvernement à disposer de l’argent indispensable pour faire campagne. Dans son discours récent aux troupes, le maréchal de Mac-Mahon a justement parlé dans ce sens et il a été acclamé. Il a l’armée pour lui, c’est certain. Avec cela, il est déjà allé si loin qu’il lui sera impossible de s’arrêter sous peine de perdre sa place. Or, toute sa politique s’exprime en cette petite phrase : « J’y suis, j’y reste ! » Pour le triomphe de cette affirmation, il est capable de risquer l’existence de la France. Il l’a déjà démontré pendant la guerre franco-prussienne, quand, sous la pression des bonapartistes, il a privé la France de son armée pour sauver la dynastie des Napoléon. Il est certain de l’appui des cléricaux quand il dit son : « J’y suis, j’y reste ! » Les bonapartistes et les légitimistes unis sous son drapeau sauront prouver au maréchal qu’on peut se passer de Chambord et des Bonaparte, et que ce qu’il aura de mieux à faire, lui Mac-Mahon, ce sera de