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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Mais notre héros est même ici fidèle à son caractère. Au moment où sa frayeur est à son comble, il rêve encore que le général, touché de sa sincérité non moins qu’ébloui par son génie, va le relever et le serrer dans ses bras : « Tu as fait cela, malheureux jeune homme ! C’est moi qui suis coupable ! Je n’avais pas su te remarquer ! Je prends toute la faute sur moi. Ô mon Dieu ! C’est à cela qu’en viennent nos jeunes gens les plus brillamment doués, grâce à notre sottise, à nos vieilles manies, à nos inaptes superstitions ! Mais, viens sur mon cœur ; accepte la moitié de mes fonctions, et, à nous deux, nous allons, révolutionner le ministère ! »

Les choses ne se passent pas d’une manière aussi satisfaisante. Longtemps, longtemps après, notre épistolier se rappelle le coup de botte dont l’a gratifié le général ! Et c’est presque de bonne foi qu’à ce souvenir il maudit son sort et l’humanité :

« Une fois dans ma vie, j’ai largement ouvert mes bras à mes semblables et voilà ce que j’ai reçu pour ma récompense ! »

On peut imaginer une fin très simple et conforme à nos mœurs contemporaines. Chassé du service, notre homme en vient à contracter, pour cent roubles, un mariage fictif et après la cérémonie, lui, s’en va de son côté, tandis que la nouvelle épouse se rend chez « son marchand ». C’est à la fois « gracieux et distingué » comme le dit le commissaire de police de Chtchédrine dans une occasion semblable.

En un mot, je crois que l’insulteur anonyme ferait un assez joli type pour une nouvelle. Pour le bien mettre en lumière il faudrait un Gogol, mais je suis déjà content d’avoir trouvé ce canevas. Peut-être essayerai-je d’en faire quelque chose dans un roman.