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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

ou les guides futurs ? En viendra-t-il même ? Telle est la question.


II


LE PLAN D’UNE NOUVELLE SATIRIQUE DE LA VIE CONTEMPORAINE


Mais je n’en ai pas fini avec mon insulteur anonyme. Un homme pareil pourrait servir d’excellent type littéraire pour un roman ou une nouvelle. Il est permis de le considérer à un point de vue général, humain aussi bien qu’en tant que Russe, et d’étudier quelles sont les causes de l’apparition d’un type de ce genre, chez nous, en particulier. Si vous essayez de scruter ce caractère, vous vous rendrez vite compte qu’il est impossible que notre état social ne comporte pas nombre de gens de cet acabit. Grâces soient rendues à Dieu qu’ils ne soient pas plus fréquents ! Ils ont grandi dans nos familles modernes aux liens relâchés, ils sont fils de pères mécontents et sceptiques, qui leur ont transmis une grande indifférence pour les vérités primordiales en même temps qu’un grand désir de croire à quelque chose de non révélé encore, de « prochain », de vaguement fantastique dont s’accommodera leur haine de l’époque actuelle. Il n’en manque pas de ces familles ou les parents ont dissipé le dernier argent provenant de la cession de leurs terres aux paysans, ne léguant à leurs enfants que la pauvreté, l’envie, le scepticisme et des propensions à la plus lâche veulerie.

Supposez qu’un rejeton d’une telle famille soit devenu fonctionnaire. Il aura de l’esprit inné, — comme tant de gens, — mais élevé dans un milieu où l’ironie et le persiflage auront détruit toute foi, il croira pourtant, en lui-même et prendra son esprit pour du génie. Et comment ne serait-il pas affligé d’un amour-propre sans bornes, ayant vécu sans aucune espèce de frein moral ?