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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

nonça avec un grand sang-froid : « Elle a la vie dure. » Ensuite, pendant presque un mois et demi, dans les deux prisons où elle fut incarcérée, elle continua de rester morne, grossière, peu communicative.

Et tout d’un coup, elle se changea toute. À partir des quatre derniers mois de sa grossesse, avant le premier jugement et après, la directrice de la section des prisonnières n’a pas assez d’éloges pour elle : un caractère égal, doux, tendre, paisible, se manifeste. D’ailleurs, j’ai déjà parlé de tout cela. En un mot, le premier arrêt a été cassé, et, le 22 avril, Kornilova a été acquittée.

J’étais dans la salle des séances et j’en ai emporté beaucoup d’impressions. Je regrette d’être dans l’impossibilité complète de les décrire. Je dois me contenter de quelques mots. Même si je parle de cette affaire, c’est que j’en ai déjà beaucoup entretenu mes lecteurs et que je ne crois pas superflu de leur en faire connaître la fin.

Les seconds débats furent deux fois plus longs que les premiers. Le jury était excessivement bien composé. Un nouveau témoin, la directrice de la section des prisonnières, avait été cité. Sa déposition sur les phases du caractère de la Kornilova était extrêmement importante et favorable. La déposition du mari de la prévenue était aussi très remarquable. Avec une loyauté parfaite il n’a rien caché des querelles et des injures de sa part. Il excusait sa femme. Il parlait franchement, cordialement, loyalement. Ce n’est qu’un paysan, il est vrai, un paysan vêtu à l’européenne, qui lit et reçoit trente roubles de salaire par mois. Ensuite il y avait une élite d’experts. On avait convoqué six savants, tous célébrités et notabilités de la médecine. Cinq d’entre eux ont donné leur avis. Tous ont déclaré sans hésiter que l’état morbide, habituel chez une femme enceinte pouvait bien, en l’espèce, avoir suscité le crime.

L’avocat général lui-même a renoncé à soutenir l’accusation de préméditation.

L’acquittement a provoqué l’enthousiasme du nombreux public. Plusieurs personnes se signèrent. D’autres se félicitaient mutuellement.

Le même soir, le mari de l’acquittée l’a ramenée chez