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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

comment dirais-je ? à prier, à implorer, à défier, non par des paroles, mais par un élan intérieur de tout mon être, Celui qui permettait, qui avait ordonné tout ce qui venait de se passer.

― Qui que tu sois, si tu existes, s’il existe un principe conscient et raisonnable, aie pitié de moi. Mais si tu te venges de ce que je t’ai offensé en me donnant la mort par le suicide, je te préviens que nul des supplices que tu pourras m’infliger ne vaincra le mépris que je ressentirai immuablement pendant des milliers et des milliers d’années de tortures.

Et je me tus… mentalement. Une minute, au moins, se passa encore ; même il me tomba sur l’œil une nouvelle goutte d’eau, mais je savais déjà, à ne pouvoir me tromper, que tout allait changer presque instantanément.

Et ma tombe s’ouvrit. Un être inconnu s’empara de moi et nous nous trouvâmes tous deux dans l’espace. Brusquement je pus voir, mais bien peu, car la nuit était plus profonde, plus ténébreuse qu’aucune des nuits de ma vie. Nous étions lancés en plein ciel, déjà loin de la terre. Je ne demandais rien à celui qui m’emportait ; j’étais fier de la pensée que je n’avais pas peur. J’ignore combien de temps nous planâmes ainsi dans le vide. Tout continuait à se passer comme dans les songes où le temps et l’espace ne comptent pas. Tout à coup, au milieu de l’obscurité, je vis briller une étoile : « Est-ce Sirius ? » m’écriai je oublieux de ma résolution de ne rien demander.

― « Non, c’est l’étoile que tu as vue en rentrant chez toi », me répondit l’Être qui m’emportait. Je pouvais me rendre compte qu’il avait une sorte de visage humain. Chose bizarre, j’avais cet Être en aversion. Je m’attendais au non-être en me tirant une balle dans le cœur, et je me voyais entre les mains d’un être qui, sans doute, n’était pas humain, mais qui existait.

― « Alors il y a une vie au delà de la tombe ! » pensai-je. « Il me faudra être de nouveau ; subir la volonté de quelqu’un dont je ne pourrai me débarrasser ! » Je m’adressai à l’Être :

― « Tu sais que j’ai peur de toi, et tu me méprises à