Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/427

Cette page a été validée par deux contributeurs.
423
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

AVRIL


____


I


LA GUERRE. — NOUS SOMMES LES PLUS FORTS


« La guerre ! La guerre est déclarée ! » s’écriait-on chez nous, voilà deux semaines : « Elle est déclarée, soit ! Mais quand commencera-t-elle ! », demandaient certaines gens, anxieux.

Tous sentent qu’il va se passer quelque chose de décisif, que nous allons peut-être voir l’épilogue de vieilles histoires qui ont trop trainé, que nous marchons vers des événements qui nous permettront de rompre avec le passé, que la Russie va faire un grand pas en avant. Quelques « sages », pourtant, ne peuvent croire que ce soit possible. Leur instinct leur dit que cela est, mais, malgré tout, leur incrédulité persiste : « La Russie ! mais comment peut-elle ? Comment ose-t-elle ? Est-elle prête, non seulement au point de vue matériel, mais intérieurement, moralement ? Il y a l’Europe, là ! Et qu’est-ce que la Russie ? C’est un bien grand pas pour elle ! »

Le Peuple, lui, croit. Il est prêt. C’est le peuple lui-même qui a voulu la guerre, — d’accord avec le Tzar. Dès que la parole du Tzar eut retenti ; le peuple se pressa dans les églises, par toute la Russie. En lisant le manifeste impérial, tous les gens du peuple se signalent en se félicitant de voir venir enfin, cette guerre. À Pétersbourg comme ailleurs.

Les paysans, eux, offraient de l’argent ; voulaient même vendre leurs charrues. Mais, tout à coup, ces milliers d’hommes s’écrièrent d’une voix unanime : « À quoi