Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/407

Cette page a été validée par deux contributeurs.
403
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

sonne toutes leurs espérances. De plus voici que des rivalités nationales les travaillent. La récente controverse gréco-bulgare, soi-disant religieuse, provenait en réalité de haine de races. Le Patriarche universel, en excommunient les Bulgares et leur exarque arbitrairement élu, déclarait qu’on ne pouvait sacrifier les lois de l’Église au principe « nouveau et funeste des nationalités ». Cependant, lui-même, grec, me semblait servir le dit principe en favorisant les Grecs au détriment des Bulgares slaves.

On peut être sûr qu’au moment de la mort de l’homme malade les querelles se feront violentes entre les diverses nationalités de la presqu’île balkanique. Et nos hauts politiciens veulent pourtant que Constantinople devienne, après l’exode des Turcs, une ville internationale, justement pour éviter ces querelles. Il est difficile d’imaginer un point de vue plus faux.

D’abord, si un point quelconque du globe terrestre se trouve sans possesseurs bien autorisés, on voit immédiatement apparaître une flotte anglaise. Nos amis de Grande-Bretagne viendront cette fois comme les autres ; sous prétexte de garantir l’ « internationalité » ou tout ce qu’on voudra, ils mettront purement et simplement la main sur Constantinople et, quand ils sont installés quelque part, il est bien difficile de les déloger. Ce n’est pas tout : Les Grecs, les Slaves et les quelques musulmans demeurés à Byzance les appelleront d’eux-mêmes. Ils se feront défendre contre la Russie, leur « libératrice ». On dit que les Anglais souhaiteraient le retour de désordres du genre de ceux qui ont eu lieu cet été en Bulgarie, afin que les Turcs demeurassent seuls maîtres de la situation. Nous ne savons, mais il est sûr que, si la forte épée de la Russie entrait en jeu, les choses changeraient vite de face. L’idée de l’ « internationalité » serait très certainement mise en avant par l’Europe, heureuse de voir les différentes nationalités de l’ex-Empire se déchirer sur le cadavre de l’ « homme si longtemps malade ». Il n’y a pas de calomnie que l’on n’inventerait contre nous. « Si ne nous vous avons pas aidé contre les Turcs, c’est à cause des Russes », diraient les Anglais,