Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/404

Cette page a été validée par deux contributeurs.
400
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

enfin, de la manière la plus positive. Rappelez-vous combien le joug tartare contribua chez nous à asseoir et à fortifier l’église orthodoxe. La population de l’Orient, subjuguée et martyrisée, a vu dans le Christ et dans la foi qu’elle avait en lui, sa seule consolation, dans l’église grecque, sa dernière particularité nationale. C’est ce qui l’a empêchée de se fondre avec les vainqueurs en oubliant sa race et son histoire ancienne. D’autres peuples, opprimés comme les Grecs, se serrèrent autour de la croix. D’un autre côté, toutes les nations chrétiennes d’Orient prirent, depuis la conquête de Constantinople, l’habitude de jeter un regard d’espoir vers la Russie lointaine, pressentirent sa grandeur future dès qu’elle eut chassé les envahisseurs tartares, et virent en elle la libératrice désignée. La Russie a accepté de succéder en quelque sorte moralement à Byzance, en plaçant l’aigle à deux têtes byzantin au-dessus de ses armes nationales. Elle a ainsi assumé une immense responsabilité vis-à-vis des chrétiens d’Orient. Le peuple russe a complètement ratifié les résolutions prises par ses Tsars au sujet de la défense de leurs coreligionnaires. Elle a toujours appelé son Tsar le « Tsar orthodoxe », et semble avoir reconnu en lui, quand elle lui donna ce nom, l’unification du monde orthodoxe et plus tard le libérateur, de la chrétienté d’Orient, prise entre la barbarie musulmane et l’hérésie d’Occident. Depuis deux siècles et surtout depuis Pierre-le-Grand les espoirs des peuples du sud-est de l’Europe ont commencé à se réaliser. L’épée de la Russie a plus d’une fois lui sur le champ de bataille pour les défendre. Il va de soi que les chrétiens d’Orient ne pouvaient pas ne pas voir leur Tsar futur dans celui dont ils imploraient la protection.

Cependant, au cours de ces deux siècles, la culture européenne s’est introduite en Orient. L’idée orthodoxe s’y est affaiblie tout comme chez nous où l’immense majorité des hommes des classes instruites s’est déshabituée de croire, et ne sait plus voir le rôle vrai de la Russie. Beaucoup de gens ont commencé, comme les occidentaux, à ne plus considérer l’Église que comme un conservatoire de formalités mortes, de rites, de cérémonie vaines. Des