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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


Quand je reviens du bagne, il me montra des vers dans un de ses livres :

— C’est sur vous que j’ai écrit cela, me dit-il.

« Ils n’ont pas fini, les prophètes, de rendre leurs oracles. Ils ont été, à la fleur de l’âge, victimes de la haine et de la trahison. Leurs portraits pendue aux murs me regardent avec reproche. » C’est un mot pénible que reproche ! Sommes-nous demeurée fidèles ? Que chacun le dise avec sa conscience…

… Mais lisez vous-mêmes les poèmes douloureux de Nekrassov, et que votre poète aimé revienne à la santé, ce poète passionné pour les souffrants.


III


JOURS D’ANNIVERSAIRE


Rappelez-vous l’Enfance et l’Adolescence, du comte Léon Tolstoï. Il y a là un enfant qui est le héros de tout le livre. Mais il n’est pas simple comme les autres enfants, comme son frère Volodia, par exemple. Il a tout au plus une douzaine d’année, mais dans son cœur et dans sa tête naissent parfois des sentiments et des pensées qui sont au-dessus de son âge. Il se livre passionnément à ses rêves, mais sait déjà, qu’il est préférable de les garder pour lui. Une pudeur l’empêche de les laisser deviner. Il jalouse son frère, qu’il croit infiniment supérieur à lui-même, ne fût-ce que sous le rapport de la beauté et de l’adresse. Parfois, cependant, un obscur pressentiment l’avertit qu’il pourrait bien au contraire, être, des deux, le supérieur. Mais il chasse vite cette pensée qu’il considère comme monstrueuse. Souvent il se regarde dans la glace et décide qu’il est hideusement laid. Il se figure que personne ne l’aime, qu’on le méprise. En un mot, c’est un garçon assez extraordinaire.