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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

loin d’être mauvais. — Notre génération, à nous, aura eu l’honneur de faire le premier effort.

La pensée qui nous guide s’est exprimée déjà maintes fois dans la littérature russe. Nous commençons à étudier plus attentivement les manifestations écrites du génie russe d’autrefois, et elles nous confirment dans notre façon de voir. L’importance capitale de Pouschkine, par exemple, nous apparaît de plus en plus claire, malgré quelques étranges opinions littéraires émises, ces temps derniers, sur le grand écrivain, dans deux revues…

Oui, nous voyons chez Pouschkine une confirmation éclatante de notre pensée. Et celui-là a tenu une place énorme dans l’histoire du développement russe. L’apparition de ce Pouschkine est une preuve que l’arbre de la civilisation russe pouvait, même avant notre époque, donner des fruits et des fruits splendides, des fruits d’or. Avec Pouschkine, nous avons compris que l’idéal russe est éminemment humain, un idéal de conciliation universelle. Le grand poète n’a pas été le seul à le définir, mais il l’a fait avec, à la fois, une ampleur et une précision qu’on ne saurait retrouver ailleurs.

Nous parlerons de Pouschkine d’une façon plus détaillée dans un prochain article et développerons notre pensée avec des arguments plus probants. Dans cet article, nous passerons à l’étude de la littérature russe, nous verrons l’importance qu’elle a prise dans les préoccupations de notre société actuelle ; il sera aussi question de quelques malentendus et des querelles qu’elle a soulevées. Nous aimerions surtout à dire un mot d’une question assez singulière qui divise depuis des années nos écrivains en deux camps. Je veux parler de la fameuse théorie de l’« Art pour l’Art ». Tout le monde a lu maintes discussions à ce sujet, et nous avouerons notre surprise en voyant que le public n’est pas encore fatigué des assommants traités que cette théorie a inspirés.

Nous tâcherons de discuter la question sous une forme qui ne soit pas celle d’un traité.