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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

nière, j’ai tout préparé déjà ; je suis en avance d’au moins une semaine.

— Si c’est ainsi, c’est bien.

Le lendemain, Sacha alla à l’école, mais à six heures du soir, le conducteur de l’omnibus apporta à la mère un mot ainsi conçu :

« Ma chère petite mère, j’ai été toute la semaine une très vilaine fille. J’ai eu trois zéros pour mes leçons ; je t’ai trompée tout ce temps-là. J’ai honte de rentrer et ne reviendrai plus chez toi. Pardonne-moi, ma chère maman, pardonne-moi. Ta Sacha. »

On peut imaginer l’affreuse inquiétude de la mère. Elle voulut abandonner ses occupations et courir à la recherche de Sacha. Mais où ? et comment ? Une personne amie s’offrit d’elle-même à faire toutes les démarches nécessaires, s’en fut prendre des renseignements à l’école, chez toutes les connaissances et courut toute la nuit. La crainte que Sacha repentante revint chez elle et repartit en ne trouvant pas sa mère, décida cette dernière à rester dans sa maison et à se fier au zèle du bienveillant ami. Si Sacha n’était pas retrouvée le matin, on irait faire une déclaration à la police. Demeurée seule, la mère passa quelques heures pénibles, que l’on peut se figurer.

Et, raconte la mère, vers dix heures du soir, j’entendis sur la neige de la cour de petits pas bien connus ; les mêmes pas montèrent l’escalier. La porte s’ouvrit et entra Sacha.

— Maman ! maman ! Comme je suis heureuse d’être revenue chez toi !

Elle joignait ses petites mains, dont elle se couvrit la figure ; puis elle s’assit sur le lit, mais dans quel état de fatigue !

Après les premières exclamation de joie, la mère ne voulut pas faire tout de suite des reproches…

— Ah ! maman ! reprit la fillette, quand je t’ai menti hier au sujet des leçons, je me suis décidée tout de suite à ne plus aller à l’école et à ne plus revenir ici ! Puisque je n’irais plus à l’école, je serais forcée de te tromper tous les jours quand je te dirais y aller !

— Mais que voulais-tu devenir ?