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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

navrée de la calomnie, mais s’expliquait sans haine et s’écria simplement : « C’était mon destin ! »

Quand je me mis à lui parler de sa petite fille, nouvellement née, elle sourit aussitôt :

— Hier, nous l’avons baptisée.

— Et comment s’appelle-t-elle ?

— Catherine.

Ce sourire de la mère condamnée aux travaux forcés et regardant son enfant, née dans la prison, peu de temps après le verdict, qui la condamnait en même temps que la coupable, ce sourire a produit en moi une impression étrange et pénible.

Je l’ai questionnée sur son crime, et le ton de ses réponses m’a plu par sa franchise. Elle, disait tout, clairement, sans tergiverser. Elle avoua sans ambages qu’elle était coupable de ce dont on l’accusait. Ce qui me frappa c’est qu’elle ne chargea aucunement son mari, bien au contraire. Alors, mon Dieu ! comment tout cela s’est-il accompli ! Elle me raconta de quelle façon elle avait commis son crime : « … Oui, j’ai voulu le mal, me dit-elle, mais c’était absolument comme si ma volonté n’avait plus été à moi, comme si elle eût été la volonté de quelqu’un d’autre… » Elle s’était rendue au commissariat très sciemment ; toutefois, il lui semblait qu’elle ne voulait pas y aller, qu’on la forçait à s’y rendre. Elle ne sait pas comment elle y arriva ; mais, dès son entrée, elle se dénonça elle-même.

La veille de cette visite, j’avais appris que le défenseur de la Kornilova, M. L…, avait signé un pourvoi en cassation, de sorte qu’il restait encore quelque espoir, bien faible il est vrai. Mais moi, j’avais encore un autre espoir, dont je ne parlerai pas actuellement, mais que je dis à la condamnée, au moment de mon départ. Elle m’écouta sans paraître croire beaucoup au succès de ce que je désirais faire faire, mais elle a cru de toute son âme à l’intérêt que je lui portais et m’en a remercié. À la question que je lui posai, pour savoir si je pouvais lui être immédiatement utile, elle répondit, devinant toute de suite ce dont je parlais, que l’argent ne lui manquait pas, et le travail pas davantage. Elle ne se