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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Vers la nuit elle était sans forces. Je la suppliai de se coucher. Elle s’endormit profondément. Jusqu’au matin je ne pus reposer. Je me levais à chaque instant pour venir la regarder sans bruit. Je me tordais les mains en voyant ce pauvre être malade sur ce pauvre petit lit de fer que j’avais payé trois roubles. Je me mettais à genoux, mais je n’osais baiser ses pieds tandis qu’elle dormait (sans sa permission !). Loukeria ne se coucha pas. Elle semblait me surveiller, sortait à chaque moment de la cuisine. Je lui dis de se coucher, de se rassurer, que demain « une vie nouvelle commencerait ».

Et je croyais à ce que je disais. J’y croyais tellement et aveuglément ; L’extase m’inondait ! Je n’attendais que l’aurore du jour suivant ! Je ne croyais aucun malheur imminent malgré ce que j’avais vu : « Demain elle se réveillera, me disais-je, et je lui expliquerai tout ; elle comprendra tout. » Et le projet de voyage à Boulogne m’enthousiasmait ; Boulogne c’était le salut, le remède à tout ; tout espoir résidait en Boulogne ! Comme j’attendais le matin !

III


JE NE COMPRENDS QUE TROP


Et il n’y a que cinq jours de tout cela ! Le lendemain elle m’écouta en souriant, bien qu’elle fût encore effrayée ; et pendant cinq jours elle fut tout le temps effrayée et comme honteuse. À certains moments elle montra même une très grande peur. Nous étions devenus si étrangers l’un à l’autre ! Mais je ne m’arrêtai pas à ses craintes. Le nouvel espoir brillait ! Je dois dire que quand elle s’éveilla (c’était le mercredi matin), je commis une grande faute : je lui fis une confession brutalement sincère. Je ne lui tus pas ce que je m’étais jusque-là caché à moi-même. Je lui dis que tout l’hiver j’avais encore cru à